L’atelier des mots – Mireille
Les jeudis de Mireille
Un jour fatal… et c’était les “Jeudis de l’Eternité” pour Mireille Souridoux.
A l’école, elle m’avait ravi la première place au concours de la fleur la plus originale. Elle avait gagné avec un dessin plein de promesses, dont je ne me souviens plus très bien des détails, sauf de la gaieté et de l’audace qui s’en dégageaient.
Je me suis inclinée. Ce jour-là, à l’aube de mes 7 ans, je venais de faire l’expérience du mot « admiration ». Ce n’était pas le dessin qui était important, mais l’essence de la nature même de la dessinatrice qui l’avait créé.
Elle aurait, quoi qu’il arrive, un destin fabuleux parce qu’il ne pouvait pas en être autrement. Les fées s’étaient penchées sur son berceau et l’avaient dotée, en plus de ses multiples talents de l’étincelle qui procure aux gens ce petit supplément d’âme.
A peine avais-je trouvé ma “mentorine” qu’il me fallut la quitter. Les adultes qui vagabondent procurent à leurs enfants plein de possibilités mais également beaucoup d’abandons et de liens rompus. Ce déménagement allait mettre un terme à l’une de nos activités favorites en rentrant de l’école: le ramassage des bâtonnets de glaces !
Les années ont passé sans que nous nous revoyons. Un jour, au crépuscule de mes 16 ans, j’appris que la belle fleur avait été fauchée dans les prés de la jeunesse. Elle faisait de l’auto-stop pour rentrer d’une soirée. La voiture qui l’avait embarquée avait fait une embardée et la jolie Mireille qui n’était pas attachée, au sens propre comme au sens figuré, s’était envolée à travers le pare-brise.
Depuis ce jour, elle erre dans les prairies de mes souvenirs d’enfance. Elle restera la Reine des fleurs du jeudi. C’était à l’époque notre jour de liberté. Celle que le grain de beauté attendait au tournant, sur un grain de sable vit tout basculer dans le chagrin; un destin, une famille, tous les rayons de soleil promis.
Si on se moque bien de savoir ce que sont devenus les quelques crétins rencontrés au cours de notre vie on se soucie parfois de l’histoire qu’aurait pu vivre un individu attachant parti trop tôt. Ma Mireille, je la laisse à chaque printemps maussade de ma vie se promener d’une fleur à l’autre. Je l’entends parler aux abeilles, murmurer aux pierres, chuchoter au vent. Si je la vois un peu triste, c’est simplement qu’elle attend un camarade de jeu. Quand mon enfant intérieur en a assez de mes soucis de « JE », par bonheur et pour mon plus grand bien, il m’abandonne et s’en va la rejoindre dans les Jeudis de l’Eternité.
© 11.01.2013, Jacqueline Clément, Extrait de « Les jeudis de Mireille »